On ne présente (presque) plus SeaOrbiter. Depuis plus de dix ans, ce vaisseau futuriste est médiatisé, même si sa construction n’a pour l’instant pas démarré. Il faut dire que ce projet de station océanique internationale nécessite un budget conséquent. Mais il faut bien ça pour mener à bien les ambitions visionnaires de son créateur, l’architecte Jacques Rougerie. Amoureux de la mer et fervent partisan des grandes aventures humaines, il nous explique sa vision en passe de devenir réalité.

 

Pouvez-vous nous décrire la mission principale de SeaOrbiter ?
Jacques Rougerie : Il s’agira d’explorer en continu le monde sous-marin, une zone qui demeure encore inconnue, notamment la plaine abyssale. 95 % de ces grandes profondeurs sont encore inexplorés. SeaOrbiter va permettre à des hommes et des robots sous-marins d’observer en permanence sous l’eau, jusqu’à 6000 mètres de profondeur, 24 h sur 24 et sur une longue durée. C’est un engin d’une nouvelle génération qui aidera à confirmer certaines découvertes et à en faire d’autres.

La construction a pris du retard… Quand débutera-t-elle et où ? Et quand pensez-vous que SeaOrbiter sera opérationnel ?
J. R. : Nous ne débuterons la construction qu’une fois le budget bouclé, certainement vers fin 2014 ou début 2015, à Saint-Nazaire. Le vaisseau devrait ensuite être prêt au bout d’un an et demi. Il descendra alors à Monaco avant d’entamer une exploration de la Méditerranée puis du Gulf Stream. Le projet a nécessité 4,5 millions d’euros de frais d’étude, il en faut 35 millions pour la construction. À l’heure actuelle, nous avons obtenu environ 70 % de ce budget. S’ajoutent à ce montant, 5 millions d’euros pour le sous-marin, ainsi que 3 millions par an d’exploitation. Afin que le grand public s’approprie l’aventure et se passionne pour le projet, nous avons lancé fin 2013 une campagne de participation financière sur www.kisskissbankbank.com pour la construction de l’œil du SeaOrbiter (ndlr, la partie émergée de 18 mètres de haut). L’objectif de 325000 € a été atteint avec succès. L’œil est un symbole très fort et prouve l’enthousiasme des gens pour ce projet.

Le design de ce vaisseau est très réussi. Comment avez-vous concilié esthétisme et utilisation ? Pourquoi avoir opté pour une forme aussi verticale ?
J. R. : Le design découle d’un programme précis. L’objectif est de pouvoir maintenir des hommes sous l’eau et leur permettre de sortir quotidiennement, avec le plus de sécurité et de stabilité possible. Avec un bateau classique, ce n’est pas toujours possible suivant l’état de la mer. La verticalité du bâtiment provient également d’une volonté symbolique de donner à l’ensemble un caractère fort.

Comment avez-vous vérifié la faisabilité du projet ?
J. R. : Une maquette du SeaOrbiter de 3,50 mètres a été testée au Marintek, le plus grand centre de simulation marine d’Europe, situé en Norvège. Les essais en bassin de carènes se sont avérés concluants et ont validé la stabilité du SeaOrbiter, y compris dans des conditions de mers extrêmes. Ils ont aussi permis d’affiner le projet – par exemple, de prévoir plus de ballasts, ou de modifier l’angle d’attaque du flotteur –, mais dans l’ensemble, les tests se sont montrés très fiables et positifs.

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Au niveau de l’intégration du SeaOrbiter dans l’écosystème marin, qu’avez-vous prévu ?
J. R. : Construit en aluminium recyclable, ce vaisseau sera porté par les grands courants océaniques et sera donc en dérive 80 % du temps. Ses déplacements seront silencieux. Il y aura néanmoins des moteurs, mais placés au-dessus de l’eau, contrairement à des bateaux classiques, pour éviter les vibrations et les nuisances sous-marines. Ceci a nécessité une quille adaptée et explique entre autres la verticalité du vaisseau, pensée pour ne pas perturber l’écosystème. D’autre part, pour la vie à bord, nous avons établi une charte très stricte concernant le développement durable. Il n’y aura aucun rejet en mer.

Pour ce projet futuriste, vous dites vous être inspiré de Jules Verne et du Commandant Cousteau… Qu’avez-vous emprunté à l’un et à l’autre ?
J. R. : SeaOrbiter poursuit l’idée de « Vingt mille lieues sous les mers » de Jules Verne afin d’apporter des connaissances sous-marines au plus grand nombre, aux jeunes notamment. Jules Verne fut le premier à réellement romancer l’exploration sous-marine. Le Commandant Cousteau a pris le relais de l’écrivain, avec ses premières expériences de maisons sous-marines. Il est passé du rêve au concret pour que chacun prenne conscience de ce bien commun aquatique qu’il faut protéger. De mon côté, j’ai voulu apporter ma pierre à l’édifice : depuis trente ans, je construis des engins pour aller sous la mer et des habitats sous-marins. SeaOrbiter en est la suite logique

Comment a été accueilli le projet par la communauté scientifique ?
J. R. : Au niveau international, l’accueil a été plus qu’enthousiaste. Les États-Unis et le Canada ont été les premiers à y croire.

D’après les plans, SeaOrbiter mesurera 58 mètres de hauteur dont 31 mètres immergés. Ce sera le premier vaisseau vertical de ce genre. Pouvez-vous nous parler des installations que l’on trouvera à bord ?
J. R. : Il y aura des laboratoires scientifiques pour faire des études en temps réel et différé. Au total, SeaOrbiter comptera 12 ponts, dont 2 consacrés aux cabines de l’équipage (18 personnes la plupart du temps et 22 pour les courtes missions). Toutes les couchettes auront vue sous l’eau. Une bannette sera dédiée à un VIP. Un autre pont correspondra à l’espace de communication, avec un studio de production audiovisuelle permettant une diffusion en temps réel vers le public. Cette zone comprendra 2 grands hublots et un orgue. Pour que l’équipage puisse se relaxer et prendre ses repas, deux quartiers de vie sont prévus sous l’eau, dont un en zone pressurisée pour que 6 personnes puissent aller et venir en plongée.

Quelles seront les opérations menées à bord, plus particulièrement celles de plongée ?
J. R. : Nous observerons la vie marine en continu et sur de longues périodes. La partie émergée permettra de surveiller, depuis le poste de vigie à plus de 18,5 mètres, les oiseaux marins, les baleines, les dauphins, les tortues et les poissons en chasse. Sous l’eau, la zone d’exploration s’étendra jusqu’à 6000 mètres, grâce à des robots sous-marins et un drone plongeur qui cartographiera les grands fonds marins. Les études porteront sur toute la faune, du phytoplancton aux grands cétacés, en passant par les requins. Grâce aux longues missions de plusieurs mois, nous serons peut-être les témoins de phénomènes jamais observés comme la naissance d’un baleineau… SeaOrbiter sera un DCP (ndlr, dispositif de concentration des poissons) géant, nous pourrons voir le comportement des animaux en pleine eau. Silencieux et respectueux de l’environnement, le vaisseau sera une oasis de vie. Des enregistrements sonores aquatiques permettront de constituer une banque de signatures acoustiques propres à chaque espèce. Qui plus est, les scientifiques poseront des micro-balises et des micro-caméras sur les animaux, qui deviendront alors des océanographes éclaireurs.

Et les plongeurs ?
J. R. : Ceux vivant en pression atmosphérique interviendront jusqu’à 50 mètres de profondeur. Les six plongeurs en saturation pourront sortir sous la mer autant de fois et d’heures qu’ils le souhaitent pour mener diverses missions.

Comment sera sélectionné l’équipage ?
J. R. : C’est Bill Todd, ingénieur spécialisé dans les procédures d’entraînement pour astronautes à la NASA, qui est chargé de la sélection, selon des critères précis. Tous les membres, du cuisinier au commandant, devront être des plongeurs expérimentés. L’équipage sera pluridisciplinaire et hautement qualifié. Il suivra un entraînement de trois à six mois, voire plus, avant chaque mission. Même si je ne peux pas encore dévoiler le nom du premier commandant, sachez qu’il y en aura plusieurs dirigés par Patrick Marchesseau. C’est lui qui désignera le premier commandant qui sera une femme.

Comment le public pourra-t-il suivre les études et découvertes menées à bord ?
J. R. : SeaOrbiter est dédié avant tout à un programme éducatif et international et s’adresse au grand public. Depuis le lancement du projet, je reçois des messages de soutien du monde entier. C’est fantastique, il y a même des enfants de 6 ans qui m’envoient des dessins pour m’exprimer leur enthousiasme. Ce vaisseau a été conçu pour l’éducation, pour motiver les jeunes à croire au futur. Nous partagerons donc le plus possible avec eux. Une chaîne SeaOrbiter sera mise en place pour suivre en temps réel et différé la construction puis les missions du SeaOrbiter. Un peu à la manière d’une télé-réalité, une caméra accompagnera l’équipage et montrera les programmes menés, la vie à bord, les événements… N’oublions pas que ce projet est avant tout celui de l’échange pour mieux protéger notre environnement marin.

 

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BIOGRAPHIE

  • 1945 : Naissance le 11 juillet à Paris.
  • 1972 : Soutenance de la thèse d’Architecture et d’Urbanisme.
  • 1974 : Création du Centre d’Architecture de la Mer et de l’Espace.
  • 1977 : Réalisation de sa première maison sous-marine « Galathée », en mer du Japon. Il y séjournera en 1980.
  • 1979 : Prix de l’Académie d’Architecture ; création des « Aquascopes », semi-submersibles d’observation sous-marine.
  • 1981 : Réalisation du Pavillon de la mer (Kobe, Japon).
  • 1985 : Traversée de l’Atlantique dans la nacelle transparente et sous-marine de l’Aquaspace.
  • 1992 : Record du monde de 71 jours sous la mer en compagnie des Américains Rick Presley et Yann Koblic, dans la maison sous-marine « Chaloupa » aux États-Unis.
  • 1993 : Création de l’Association Espace-Mer avec son ami l’astronaute Jean-Loup Chrétien.
  • 2008 : Membre de l’Institut – Académie des Beaux-Arts.
  • 2009 : Chevalier de l’Ordre de la Légion d’Honneur. Création de la Fondation Jacques Rougerie Génération Espace Mer – Institut de France.

 

DU TAC AU TAC

– On vous présente comme un architecte visionnaire, mais êtes-vous plongeur ?
Bien sûr ! C’est une passion que je pratique très souvent et d’une façon professionnelle depuis quarante ans !

– Plutôt Jules Verne, Commandant Cousteau, ou Richard Branson ?
Jules Verne, sans hésiter.

– Vos sources d’inspiration ?
Toutes les grandes explorations et aventures, le devenir de l’homme, la philosophie, les romans de science-fiction.

– La conquête de Mars, vous y pensez ?
Non seulement j’y pense, mais j’y crois et j’aimerais la vivre.

– Plutôt château ou cabanon de pêcheur ?
Ermite breton.

 

SEAORBITER EN BREF

Pour ceux qui seraient passés à travers les mailles de la communication SeaOrbiter, rappelons en quelques mots le concept. D’une hauteur de 58 mètres pour un poids de 550 tonnes, SeaOrbiter constituera un vaisseau d’exploration marine totalement inédit. Comportant 12 niveaux, dont 6 immergés, il permettra d’observer les océans à la fois en surface et en très grande profondeur. Ce sera donc une véritable maison sous-marine nomade, effectuant de longues missions de 6 mois voire plus. Les ravitaillements se feront grâce à des navires de liaison. Pour accéder aux ports, SeaOrbiter relèvera sa quille et utilisera ses ballasts passant ainsi à un tirant d’eau de 8 mètres. Une base sous-marine pressurisée permettra des sorties régulières et directes sous l’eau, à -12 mètres. 

 

Retrouvez le texte de Cécile Cioni et les photos de ©SeaOrbiter®/Jacques Rougerie dans Plongée Magazine n°63

 

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