Alors qu’au Caire les tensions sont toujours vives et la situation instable, l’annonce d’une hausse des visas a de quoi surprendre dans de telles conditions. Analyses et réactions des professionnels du tourisme.

L’office du tourisme égyptien qualifie le marché tricolore de frileux et sensible, réagissant au quart de tour aux événements présentés en prime time des journaux télévisés. Ce qui explique que seuls 56000 visiteurs français ont foulé le sol égyptien au premier trimestre, soit une baisse de 34 % par rapport à la même époque en 2012. La France, qui tenait auparavant le 5e rang des touristes, est désormais reléguée au 11e rang. Le gouvernement français est d’ailleurs le seul en Europe à déconseiller formellement la destination. Et ce quel que soit le lieu de villégiature, même si en mer Rouge, il n’y a jamais eu de débordement.  Pourtant, en mai dernier, M. Hisham Zaazou, ministre du tourisme, a annoncé une hausse du tarif des visas, passant de 15 $ à 25 $ et qui sera effective le 1er novembre. Va-t-elle influencer les venues de nos compatriotes ?
« Mettre en place une augmentation de visa dans un marché en difficulté est déjà dissuasif en général. Dans le cas de la situation actuelle de l’Égypte, c’est un non-sens total, s’emporte René-Marc Chikli, président du SETO (Syndicat des entreprises de Tour Operating). On aurait au contraire pu imaginer une suppression des visas et des aides aux opérateurs pour soutenir la destination. »
« Dans ces moments compliqués, cette augmentation n’est pas une bonne nouvelle, soupire Osman Ersen, directeur de Blue World. Nous ne donnons pas aux clients le prix au détail, mais un prix global. Une hausse de 10 € ne devrait pas affecter le prix total. » « Est-ce que le client va ressentir cette hausse et la percevoir ? », s’interroge Emmanuelle Tayals, responsable d’Aquarev. Je n’en suis pas persuadée, parce qu’elle sera intégrée dans un package visas + accueil par un prestataire local. Néanmoins, je reste surprise par cette mesure. La fuite des touristes est réelle. Les Égyptiens ont besoin de nous. Alors pourquoi lancer cette augmentation en pleine crise ? »

Égypte

« Je crois simplement qu’il n’y a aucune politique de relance du tourisme, argumente Éric Le Coëdic, créateur de H2O Voyage. Ils ne réfléchissent pas à ce qu’ils font. Pour moi, il s’agit plus de bêtise qu’autre chose… »
À elle seule, la mer Rouge attire désormais près de 70 % de la clientèle touristique, la majorité étant des touristes balnéaires séjournant essentiellement à Sharm El-Sheikh ou Hurghada. La clientèle plongée est la moins volatile et la moins sensible aux événements cairotes. Un avis partagé par Laure Leduc, responsable de AMV-Subocéa : « Pour les groupes ou les habitués, cela ne change rien. En revanche, les nouveaux ou individuels reportent parfois leurs vacances estivales sur Malte ou Ténérife. Nous n’avons eu que deux véritables annulations, autant dire rien. »

D’AUTRES VOIES POSSIBLES ?
« Dommage d’annoncer cette hausse en période d’instabilité politique, renchérit Gérard Carnot, directeur d’Ultramarina. Ils savent que la hausse n’aura aucun impact et sera diluée dans le budget global. Néanmoins, il aurait été plus judicieux de lancer une opération ‘Égypte sans visa’, comme Maurice avait su le faire il y a quelques années, en pleine crise antillaise, pour drainer les touristes vers l’océan Indien. Cela aurait généré une image positive du pays. Chaque semaine, on envoie 10 passagers en Égypte, soit 70 % de moins qu’en 2010. »
« Ils n’auraient pas dû annoncer cette augmentation, déplore Céline Gallois, responsable du service groupes chez Océanes. On a déjà du mal à motiver nos clients alors on n’avait vraiment pas besoin de cela ! Nous avons déjà annoncé ce tarif à des groupes qui souhaitent partir après novembre. Ils ont réagi immédiatement, rétorquant qu’on s’était trompés dans les devis. Pour les groupes et clubs associatifs, une hausse, même de 8 €, a son importance. Les frais passeront de 22 à 30 € avec le visa et le service du prestataire local qui réceptionne le client et l’assiste en cas de souci (vol retardé, perte de  bagages…). Cette augmentation de 66 % est choquante. Au lieu de ne pas augmenter le visa durant 25 ans, il aurait mieux valu distiller des petites hausses ici et là, tous les trois ou quatre ans. »
Une idée intéressante est proposée par Emmanuelle Tayals : « Pour les personnes qui s’y rendent à plusieurs reprises dans l’année, pourquoi le gouvernement ne prévoirait-il pas un forfait, un visa multi-entrées avec une validité plus longue ? » Un argument pertinent et qui pourrait être entendu par le nouveau gouvernement.
« Une opération ‘incentive’ avait été lancée à destination des touristes russes, admet Nahed Rizk, directrice de l’office du tourisme égyptien à Paris. Pendant quelques mois, ils n’avaient pas payé de visa. Cela dépend du contexte. Le cas de la France est particulier. Le visa acheté au consulat à Paris était plus cher que celui délivré à l’arrivée dans le pays. Il fallait stopper cette incohérence qui posait problème. »

RETOUR À LA NORMALE SOUHAITÉE PAR L’ARMÉE
En Égypte, l’armée est loin de n’être qu’un acteur militaire. C’est une institution qui possède un réel pouvoir économique (100 milliards de dollars de recettes annuelles, soit 1/5e du PIB) et qui détient plusieurs segments de l’économie avec des investissements dans des complexes hôteliers, centres de vacances, hôtels de luxe ou constructions immobilières. L’armée n’a donc aucun intérêt à ce que le secteur touristique s’effondre. Au contraire.
En 2009-2010, la balance des paiements du pays affichait un excédent de 3,4 milliards de dollars alors que le déficit au premier semestre 2012 était de 8 milliards. En temps normal, le tourisme emploie 3 millions de personnes, soit 12 % de la population active qui en nourrissent 10 millions. La chute du secteur a généré -27 % de recettes en devises, soit près de 3 milliards de dollars en moins. Ce qui est loin d’être négligeable. L’intervention de l’armée fin juin n’est donc pas qu’un acte politique. Elle souligne également la défense de ses propres intérêts économiques. Les militaires veulent une reprise rapide du business. Mais, hormis le contexte post-Moubarak/Morsi, le pays est-il capable de séduire autant qu’auparavant ?


Il est loin le temps où l’on s’envolait en l’Égypte pour 700 €, plongées comprises. Depuis la « révolution du Nil », les prix des produits de base ont augmenté et les tarifs de certains hôteliers ont été alignés sur ceux des nuitées européennes. La livre égyptienne s’est effondrée (-14 % en deux ans), le peuple n’a plus de travail et le cours de la vie n’a jamais été aussi cher. Pour eux, comme pour les touristes.
Désormais, le prix des croisières frôle celui des prestations aux Maldives d’il y a 3 ou 4 ans. « Et je crains le pire en mars 2014, prophétise Éric Le Coëdic. Une augmentation des tarifs de carburant va arriver, c’est sûr, et cela risque de faire très mal aux croisiéristes. Attendons-nous d’ores et déjà à des mauvaises surprises tarifaires l’année prochaine. » Laure Leduc se montre plus optimiste : « Peut-être y aura-t-il un regain d’intérêt pour le Soudan l’hiver prochain si la situation se dégrade. Mais on a beau faire, en plongée, l’Égypte offre l’un des meilleurs rapports qualité/prix, toutes destinations confondues. »

Texte M. Carret, photos D. Deflorin