Alors qu’il s’est largement imposé sur d’autres marchés (surf, par exemple), le textile semble peiner à s’imposer dans le monde de la plongée. Non seulement en France mais aussi en Europe. Quelques-uns s’y sont essayés avant de renoncer alors que d’autres, courageux, tentent leur chance. Alors ? En expansion, attentiste ou en régression, le Divewear ?  Plongée Mag a enquêté.

On appelle cela des « goodies », des objets promotionnels distribués sur les salons et autres événements. Le plongeur lambda arbore alors la casquette d’un fabricant ou un polo avec son logo bien en vue. Un millier de casquettes ont été ainsi distribuées au Salon de la plongée 2013 par Aqua Lung sur son stand. Pour Beuchat, 5000 T-shirts seraient attribués annuellement aux vendeurs dans les boutiques et dans le réseau des centres partenaires. Un moyen qui offre une notoriété aisée et qui permet une reconnaissance immédiate de la marque.
Ce textile promotionnel, qui existe depuis des décennies, atteint parfaitement son objectif publicitaire. Mais désormais, il coexiste avec une autre gamme textile, le Divewear, qui émerge mais peine à s’installer véritablement et durablement.
« Bonnets, polaires, polos, T-shirts… sont à notre catalogue, reconnaît Manuel Cabrère, chef produits Aqua Lung. La qualité est le maître-mot de ces produits. Mais il faut avouer que la demande de produits dérivés plongée est faible. Nous n’avons pas la notoriété de Asics, Salomon ou Reebok, qui attire les runners/randonneurs/snowboardeurs vers une marque de sport. La plongée n’est pas non plus un sport branché type surf, où des marques comme Oxbow, Quiksilver ou Roxy permettent de donner un look à celui qui les porte. »
En surf, les marques très en vogue ont des CA qui proviennent pour 10 à 25 % de produits techniques (planches et autres) et 75 à 90 % du textile. La tribu branchée des surfeurs a ainsi donné naissance à un « life style » synonyme de jeunesse, de liberté et d’insouciance. On porte du Quiksilver/Billabong & co comme certains arborent du Lacoste ou du Ralph Lauren. Pour se donner un genre, se « reconnaître », être entre gens du même milieu à Roland-Garros, Gstaad ou Maui.
« Les marques de ski ou de surf fabriquent effectivement des produits streetwear associés à leur nom et qui sont également achetés par des non-skieurs ou surfeurs, admet Frédéric Germain, responsable communication de Beuchat. Et même si Beuchat n’a pas vocation à faire du textile, il existe au sein de la société une vraie réflexion sur ce sujet depuis quelque temps. »
La marque à l’espadon possède dans son catalogue de nombreux produits : polos manches longues H/F, sweat-shirts, veste Softshell, casquettes, lunettes polarisées, chaussures de plage… « Pour véhiculer une image différente auprès du grand public, faire la promotion de la plongée en général », conclut-il. Mais cela reste infime : moins de 1 % du CA de Beuchat émane du textile.

TENTATIVES AVORTÉES

Est-ce un problème de réseau de distribution ? « Le textile ne fonctionne sans doute pas en magasin de plongée, avoue l’un de nos interlocuteurs. Il s’agit souvent d’un achat d’impulsion, qu’un homme rapporte à sa compagne après un week-end plongée. »
Force est de constater que la mode est un tout autre métier. Les collections sont proposées deux fois par an et avec une année d’anticipation. Les quantités ne sont pas les mêmes non plus. En mode, on parle de stock de plusieurs centaines d’unités ; en magasins de plongée, le stock est minimal. Les collections d’hiver sortent dans les grands magasins en plein été, alors qu’en plongée, on sort le matériel du printemps… au printemps. De grosses difficultés pour ceux qui s’y sont essayés, comme Axess Marketing, qui a distribué les produits Seventhents « Une expérience compliquée, menée de 2004 à 2008, mais que l’on a arrêtée, explique Samantha Grezy, assistante commerciale de Axess Marketing. Les magasins de plongée ne voulaient pas stocker, les modèles changeaient souvent, il y avait des frais de stock, puis d’envoi. Le métier du textile n’est pas celui de la plongée. Ce n’est vraiment pas une expérience à renouveler ! »
Même déception pour Fishmoon et Diver Inside, marques lancées par des privés et qui ont cessé leur activité assez rapidement.

RECONVERSION D’UN LEADER

Dans ce monde compliqué, les allemands de IQ tirent une belle épingle de leur jeu depuis 1994. Le poisson à dents, leur logo, est ultra connu et leur phrase culte « Dive now, Work later » est un succès. Ces T-shirts fleurissent un peu partout en mer Rouge et ailleurs. « Nous étions les premiers sur le marché, précise Hans-Peter Mayer, marketing manager. Cela a bien fonctionné en Égypte jusqu’en 2012, aux Maldives, en Allemagne, en Suisse et en Europe de l’Est. En France, nous avions 20 distributeurs il y a 10 ans, mais plus que 4 aujourd’hui. Le marché de la plongée s’effondre, la population pratiquant plusieurs activités et non pas une seule. Le plongeur achète de moins en moins d’équipement et préfère le louer. Nous avons donc recentré nos activités sur la protection solaire de la famille toute entière, ciblant les adeptes de la plage, parents comme enfants. IQ UV, notre activité solaire (T-shirts, chapeaux, tops, leggings, combinaisons de snorkelling/nage, shorts, maillots de bain…) voit son CA augmenter de 25 % par an. »
Une reconversion nécessaire qu’il juge salvatrice pour IQ, vu le déclin du marché.

JOUER LA CARTE BIO

Il y a quatre ans, naissait Dykkeren. Avec la volonté affichée d’utiliser du coton bio, à travers des filières de commerce équitable. « Car le coton représente 3 % des surfaces cultivées et 25 % des pesticides utilisés dans le monde, précise Carole Robin, la gérante. D’où l’intérêt du coton bio en termes d’impact sur notre environnement, notamment sous-marin. Plus de 75 % de nos T-shirts sont en coton bio (ou en conversion vers le bio), ce qui a un évidemment un coût. Il est très difficile de lancer une marque. Mais nous sentons que le marché émerge lentement. On a assisté à une modification dans la réflexion des clients. Ils ont envie de porter les couleurs de leur passion, même en ville ou au travail. » La boutique en ligne, bilingue, attire quelques fans venus du Japon et de nombreux Belges. Les femmes apprécient les coupes qui sortent des L et XL traditionnels. Pourtant la marque peine à décoller. Après une année 2011 morose, le CA de 2012 a progressé de 65 % et 10 % du CA se fait à l’exportation (hors zone euro), principalement au Japon.

ILS SE SONT LANCÉS

Agacée de voir des plongeurs habillés en marque de voile, Audrey Joulia a étudié le marché avant de lancer Alpha Spirit  en EIRL (entreprise individuelle à responsabilité limitée).  « Le plongeur est un être bon vivant, avec un certain niveau de vie, qui voyage et s’adonne à sa passion, explique-t-elle. Mais ce qui manque dans cet univers, ce sont des polos haut de gamme qu’un homme peut être fier de porter au restaurant ou lors d’une réunion professionnelle. »
Du chicwear « casual »  lié à la plongée en quelque sorte ? « Dans l’esprit Eden Park », avoue-t-elle. Elle a donc travaillé les détails, broderies, doublures en velours, matériau infroissable pour les voyages/croisières. Chaque série de polos proposée raconte une histoire : Côte Bleue/rencontre du poisson lune en Méditerranée, et H2O/Share our passion. Un investissement de 30000 €, qui s’est réparti à 50 % en achat de matières premières, 15 % en frais de création, protection de la marque, de dessins, recherche d’antériorité de la marque, 10 % en honoraires de la styliste, 15 % pour le site internet marchand. Elle espère ainsi une évolution sur deux ans. Les produits sont fabriqués au Portugal « pour limiter l’empreinte carbone » et elle reverse 1 € à Sea Shepherd sur chaque vente réalisée. « Les débuts sont prometteurs, raconte-t-elle. Simame à Paris et Côte Bleue Plongée (13) me distribuent. Côte Bleue Plongée a écoulé 50 polos cet été. Je vais donc au Salon de Paris en janvier. Et en mars 2014, sortira ma deuxième collection. »


Même enthousiasme chez Jennifer Grémaud, 29 ans. Basée à Nantes, elle y a créé Finway, en janvier 2011. « Je voulais une collection complète, qui aille du T-shirt basique au sac de sport et aux peignoirs. Il me fallait un logo qui soit reconnu des plongeurs immédiatement, sans afficher trop fort la plongée. Un logo intemporel, qui s’adresse aux apnéistes, aux chasseurs, comme aux plongeurs, à tous ceux qui ont des palmes aux pieds. Un logo discret sur les épaules. » Elle achète ses tissus à un grossiste en France, de provenance chinoise ou bangladaise. Jennifer brode elle-même les polos ou autres et les personnalise en fonction des clients, les cols sont interchangeables.
Ses ventes sont destinées en majorité aux hommes (2/3). En 2011, le CA de son EURL était de 29000 € et en 2012, de 38294 € (soit +32 %), alors qu’elle avait dû s’arrêter 5 mois pour un congé maternité.
Jennifer fonctionne par dépôts-ventes, à Boulogne Plongée (92), à Pornichet (44), Capbreton (40)… « Je travaille en flux tendus et suis réactive. À terme, je veux lancer une gamme de vêtements outdoor, mais je me consacre d’abord à la plongée avant d’élargir. »

MERCHANDISING

Le poids lourd PADI est le dernier-né du marché. Avec une démarche inédite. Celle menée par Stéphane Waeber, directeur de WSF COMP, société suisse indépendante, qui commercialise du matériel de plongée et de surf. « Plongeur et très lié à Billabong, j’ai eu l’idée de lancer une ligne de vêtements life style, explique-t-il. Je me suis rapproché tout naturellement de PADI, organisme qui rassemble 65 % de plongeurs/moniteurs mondiaux. PADI Sportswear à donc été créée afin de donner plus de visibilité à la marque PADI mais aussi pour la plongée en général. Les motifs des produits (signes, apesanteur, etc.) sont tous relatifs au monde de la plongée et sont destinés à véhiculer une image entre plongeurs et non-plongeurs. »
Lancé en janvier 2013, le site web permet la vente immédiate, sur tous les continents. Les modèles, coupes, emballages, étiquettes ont été conçus en Suisse, avec des designers free-lance, la production étant réalisée au Portugal : « On a voulu éviter la Chine pour garder un contrôle de la qualité et des conditions de travail, tout en limitant l’empreinte carbone, poursuit-il. On ne pouvait pas se permettre de produire des produits bon marché, non respectueux de l’éthique humaine. »
La gamme se décline en ligne Corporate qui cible les 57000 instructeurs, ou divemaster en Europe, au Moyen-Orient et aux Maldives. Tous susceptibles d’acquérir des vêtements siglés. Une seconde ligne se montre plus fun avec des motifs de bulles et un logo discret. Quant à la ligne Youth, elle se veut jeune et sans logo trop apparent. L’idée étant de la voir portée par des jeunes (moins de 35 ans), même non-plongeurs.
La nouvelle ligne sera présentée en 2014 au Salon de la plongée de Paris. Des artistes auront donné un coup de crayon graphique et unique sur le Divewear du XXIe siècle.
Quelques enseignements ont déjà été tirés des premières ventes (CA de 250000 € en 7 mois). Les achats se sont répartis à 25 % dans la ligne femmes et 75 % dans celle des hommes. Le T-shirt femme ne fonctionnant pas, il sera remplacé par des petits tops à bretelles et certains motifs (comme l’underground londonien) seront abandonnés. Les collections dureront le temps d’une saison. Pas plus. Comme en mode.

Texte Martine Carret